Antoine
Chartres
Lyon 1905 - Lyon 29 Juin 1968
En 1962, Antoine Chartres estimait son œuvre à une quantité
de 2000 peintures à l’huile, et à peu près
autant de gouaches, d’aquarelles et de dessins. Si, on a beaucoup
parlé de l’influence d’Henri Vieilly sur ses élèves,
on ne saurait négliger les qualités d’enseignant
d’Antoine Chartres. A partir de 1939, il sera professeur à
l’école des Beaux-Arts. Porté par la quête
de la modernité, commune au groupe des Nouveaux, comme à
leurs aînés les Ziniars, Antoine Chartres a incontestablement
contribué à libérer la peinture lyonnaise. Son
influence imprègnera les premières œuvres des Sanzistes,
et particulièrement, celles d’André Cottavoz,
de Roger Bravard. Soutenu par l’admiration d’Emile Didier,
il entra en 1919 à l’école des Beaux-Arts. Comme
lui, Antoine Chartres était ouvert à toutes les expériences.
Mais jamais il ne s’égarait. Toujours, il demeurait lisible,
et le vocabulaire qu’il adopta reste accessible à tous
les regards. Même lorsqu’il choisira la franche abstraction,
il se situera plus près du camp des amis de Roger Bissière
avec Alfred Manessier, Jean Le Moal, et Jean Bertholle que de celui
de Nicolas de Stael ou de Pierre Soulages.
Président du Salon du Sud-Est depuis 1954, Antoine Chartres
attaché à la notion de dialogue, était très
dévoué à la cause commune. Il mourut en 1968,
à soixante trois ans, sans comprendre ces « événements
» qui remettait en cause dans la violence de la révolution
ses valeurs d’enseignants, et celles du directeur de l’école
en place, le peintre Jean Coquet. ( Celui-ci fut attaché au
siège de son bureau, et brocardé pendant plusieurs jours
par des étudiants, dont certains sont aujourd’hui des
architectes de gauche embourgeoisés, aux talents médiocres).
Marius Mermillon a souvent évoqué l’œuvre
d’Antoine Chartres qu’il pouvait voir à la Galerie
Folklore de Marcel Michaud, et chaque année au Salon du Sud-Est.
Il est intéressant, alors que Paul Bocuse vient d’ouvrir
à quelques mètres de l’ancienne Gare d’Eau
un restaurant à la décoration digne du XXIe siècle
: l’Ouest, de revenir sur ce texte que notre critique, attaché
à l’histoire de son quartier, et qui développait
son activité de marchand de vin, dans la rue Chinard, à
Vaise, écrivit en réponse à une lettre d’Antoine
Chartres : « Chartres possède un tempérament vif,
surtout la plume en main. J’ai reçu de lui l’an
dernier, à brûle-pourpoint, une lettre où il me
disait que j’étais un peu responsable d’avoir embarqué
la peinture lyonnaise sur la route départementale qui conduit
à la gare d’eau de Vaise… ( N’oubliez pas
le guide ! ) Je ne me savais pas en possession d’une influence
d’autant plus remarquable qu’elle m’apparaît
plus obscure. La gare d’eau de Vaise est un réservoir
de beaux motifs pour un peintre, et Chartres lui -même, s’y
est rendu plusieurs fois. Bref, nous nous sommes expliqués
depuis, sans que j’ai pu cependant éclaircir de quels
noirs desseins il m’avait supposé capable. Peintre, pour
l’être, il l’est, et l’on souhaite qu’il
ne le devienne pas davantage car il est professeur de peinture, bel
état auquel il doit de vivre en commerce permanent avec les
formes et les couleurs. Aussi ne risque t-il pas, qu’à
force d’usage, elles ne perdent pour lui de leur accent, de
leur mystère, au point que sa main finisse bientôt par
conduire son esprit ?
Marius Mermillon était un critique intelligent, sensible, mais
ce naturel se rétractait dès qu’il s’agissait
d’évoquer une possible route vers l’Abstraction
qu’elle fusse construite ou lyrique. Président de ce
Salon du Sud-Est que Marius Mermillon avait contribué à
constitué, Antoine Chartres bénéficiait d’une
certaine reconnaissance dans la cité qui faisait de l’ombre
au critique, et l’abstraction le tentait au point qu’il
se livrera à un grand nombre d’essais.
En octobre 1968, le Salon du Sud-Est lui rendit un hommage appuyé,
après son décès consécutif à une
rupture de l’aorte. Son ami, son compagnon de route, Henri Vieilly
s’étonnait de voir le chemin de ce « Nouveau »
s’interrompre prématurément : « Combien
de veilles à parler peinture » ? Y avait-il autre chose,
que son émotion devant le signe plastique, devant la nature
elle-même ? Le combat de l’artiste pour se réaliser
l’obsédait. Ce n’était pas la disparition
de ce monde qui faisait son tourment ; il le disait : « Avoir
le temps de produire assez, mourir n’est rien ».
A cette époque bénie, le conservateur du musée
des Beaux-Arts de Lyon ne dédaignait pas nos artistes. Je ne
résiste pas au plaisir de citer un texte de René Jullian
qui eut en charge cet établissement pendant plus de trente
ans, et réalisa un nombre inégalé d’acquisitions
: « Antoine Chartres est de ces artistes dont le talent dépasse
les limites d’une cité. Il lui demeure certes intimement
lié, à la fois par la place éminente qu’il
occupe dans l’activité picturale de la région,
par l’attachement qu’il garde à sa ville, dont
il contemple avec dilection le vaste horizon du haut de son logis
croix-roussien, enfin par la conjonction de certaines vertus qui appartiennent
à la meilleure tradition artistique lyonnaise, le sens du concret,
le goût de la matière généreuse, le souci
des fortes architectures ».
Quel plaisir de lire sous la plume de René Jullian qui fut
professeur à la Sorbonne, cette apologie d’un artiste
inscrit dans cette longue quête de la modernité par les
jeunes artistes lyonnais.
Chartres a posé sur l’art de son temps un regard lucide.
Il a dans la jubilation de sa joie de peindre mesuré son évolution
avec l’outil de son expérience et son désir de
découverte. Après avoir vu Hayden, il a continué
sur la voie abstraite, et comme ses élèves Pierre Doye
et Antoine Sanner, il ressentait là une libération pour
la peinture, une liberté dont certains abuseront parfois. Antoine
Chartres est encore victime de la cécité du marché
local. Mais prenez garde, amis collectionneurs, il trouvera bientôt
sa cote, en salle des ventes, celle d’un maître estimé,
et d’un leader incontestable.